Il faut accélérer la dynamique autour du programme “Je choisis la French Tech”. À tel point qu’en février dernier, la Mission French Tech a lancé la “Je choisis la French Tech” Académie, une série de formations en ligne pour accompagner les startups dans l’obtention de marché publics. Car si 600 entreprises sont engagées dans ce programme, il est souvent présenté comme un vœu pieux, peu suivi de concret. Ce sujet, de commandes privées des grands groupes aux startups, est pourtant essentiel pour soutenir la croissance de l’écosystème tech français. Cela reste un objectif prioritaire de la Mission French Tech.
Au-delà de la volonté des corporates de signer des contrats à des startups, il est impératif pour les jeunes pousses de comprendre les cycles de ventes des grandes entreprises, leurs besoins et leurs stratégies. Zoom sur les collaborations startups - grands groupes à travers l’exemple de JCDecaux, avec Frédéric Saffroy, directeur de projets open innovation du groupe aux 2000 collaborateurs dans 80 pays.
Maddyness : Dans quel cadre le groupe JCDecaux fait-il appel à des startups ?
Frédéric Saffroy : Nous avons deux types de collaborations avec les jeunes pousses. D’un côté, il y a des services que nous proposons aux collectivités, et de l’autre, des partenariats qui s’inscrivent dans un processus de transformation interne de notre groupe. L’un des exemples marquants de notre approche territoriale est EcoMégot: un projet innovant qui permet de collecter les mégots à proximité du mobilier urbain, tout en générant des économies d’eau sur l’ensemble de la filière. Ce dispositif est aujourd’hui présent à Lyon, Clermont-Ferrand, Grenoble et Cannes. À cela s’ajoute Short Edition, une initiative originale visant à enrichir le temps d’attente et de transport. En offrant la possibilité de choisir une histoire courte, imprimée sur un petit ticket, nous avons su créer une expérience unique. Actuellement, 9 Abribus à Grenoble sont équipés et plus de près de 250 000 histoires ont été distribuées. Ce sont là quelques exemples de l’innovation que nous avons su déployer en collaboration avec les collectivités, pour transformer le quotidien des citoyens.
Concernant la transformation de notre groupe, un projet emblématique qui me vient à l’esprit est celui avec Shiptify, une startup nantaise qui nous permet d’optimiser nos flux logistiques dans 70 pays. Cette collaboration nous a permis de réinventer certains de nos processus à une échelle internationale. Nous restons également un groupe profondément ouvert aux nouvelles solutions, en particulier dans le domaine des ressources humaines. Que ce soit pour le sourcing, le recrutement, l’onboarding ou même le bien-être au travail, nous déployons des outils qui nourrissent notre marque employeur et contribuent à rendre nos 400 métiers plus attractifs.
M.: Comment se déroule le processus de collaboration ? Quelles sont les différentes étapes pour nouer un partenariat ?
F.S. : À chaque collaboration, le point de départ est un échange direct avec l'utilisateur final, qu’il soit externe ou interne. Nous nous appuyons sur des réseaux d’ambassadeurs en Open Innovation, présents dans chaque direction métier et au sein de chaque collectivité, pour saisir les besoins actuels et anticiper les projets futurs. Cette approche nous permet d’être à l’écoute de ce qui se passe sur le terrain, en prenant en compte les évolutions et les attentes de tous les acteurs impliqués. Une fois cette phase d’écoute et de collecte d’informations effectuée, nous lançons nos recherches. Celles-ci reposent à la fois sur une démarche proactive et sur les nombreuses sollicitations que nous recevons, toutes analysées de manière systématique. L’objectif de notre Direction des Nouveaux Usages est de garantir une réponse rapide et adaptée aux startups, en leur offrant l’opportunité de démontrer leur valeur ajoutée.
Concrètement, cela commence souvent par une première commande, un test, que l’on appelle une preuve de concept (POC). Ce test peut se déployer sur un périmètre défini, que ce soit géographique, temporel, ou encore au sein d’une direction spécifique ou d’un pays. Si le test est concluant, nous procédons à l’agrandissement de la commande. À partir de ce moment-là, nous entrons dans un processus d’achat classique. Selon la volumétrie et l’importance du budget alloué, un appel d’offres peut être nécessaire. Plus le travail de mapping et de sourcing en amont a été minutieux, plus cet appel d’offres sera pertinent et efficace. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos équipes d’acheteurs, qui sont pleinement impliquées dès les premières étapes du processus de contractualisation. C’est une composante essentielle de notre succès : une bonne préparation garantit un processus fluide et un déploiement efficace.
M. : Qu’est-ce qui pourrait faire que, après le POC, la collaboration avec la startup s’arrête ?
Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi une collaboration ne se concrétise pas immédiatement. Il peut arriver que nous identifiions une solution intéressante, mais que nous réalisions qu’elle fait déjà l’objet d’un projet interne en cours. Dans ce cas, nous préférons concentrer nos efforts sur ce qui est déjà en développement. D’autres fois, cela tient à une question de bande passante et de priorités. Il peut être nécessaire de nous focaliser sur un, deux ou trois projets spécifiques, et de reporter l’exploration d’autres pistes. Dans ces situations, nous maintenons une communication transparente avec la startup, en lui expliquant que bien que leur solution soit pertinente, nos priorités actuelles nous conduisent à mettre ce projet en pause pour l’instant.
M. : Comment les startups peuvent-elles capter vos besoins et s’assurer d’être dans le bon timing et de répondre à vos attentes ?
F.S. : Nous entretenons une communication régulière sur nos sujets d'innovation, sur tout ce que nous sommes capables de déployer dans nos mobiliers urbains et sur nos différents territoires. Nous sommes également signataires du programme “Je Choisis la French Tech”, ce qui nous amène à organiser des reverse pitch. Ces événements permettent aux grands groupes, comme le nôtre, de pitcher directement leurs besoins devant des startups. Ces échanges sont extrêmement enrichissants et nous permettent d’identifier des solutions adaptées à nos attentes. La direction des Nouveaux Usages est chargée de garantir le premier contact avec les startups, de jauger la maturité de la solution et de procéder à une première présentation. Si ce premier échange est concluant, nous organisons une réunion avec la direction métier concernée, pour évaluer la solution de manière plus précise en collaboration avec l’expert du domaine.
Ce processus reflète un message important que nous adressons aux startups : il n’est pas nécessaire de frapper à toutes les portes, c’est à nous de faciliter la mise en relation. Il est crucial que la startup ne se perde pas dans un enchevêtrement de directions ou de niveaux hiérarchiques. Cette organisation structurée par filière métier permet à chaque interlocuteur de se concentrer sur son domaine et de travailler efficacement avec la solution apportée. Ensuite, le service des achats entre en jeu, notamment pour vérifier la conformité aux normes juridiques et assurer un suivi rigoureux. Nous coordonnons l’ensemble du processus, veillant à ce que la startup reçoive une réponse claire et que les directions métiers soient régulièrement relancées pour faire avancer les discussions.
M. : Certains grands groupes ne collaborent pas avec des startups par peur qu’elles ne puissent pas tenir les termes du contrat et délivrer. Quelles sont les garanties que vous cherchez ?
Nous portons une attention particulière à la scalabilité de la solution, c’est-à-dire la capacité de l’entreprise à passer du stade du test à un déploiement à plus grande échelle. Nous opérons aujourd’hui dans plus de 80 pays, et pour des solutions telles que celles liées aux ressources humaines, nous devons nous assurer qu’elles sont adaptées à un environnement international. Cela implique, par exemple, de vérifier si la solution est multilingue ou si elle peut être facilement déployée dans nos filiales.