Pendant que tous les regards sont braqués sur Paris et Berlin cette semaine en Europe à l’occasion du sommet Choose France et du salon Gitex Europe, l’attention se concentre en Asie sur le Computex de Taipei. C’est là-bas qu’une délégation de parlementaires français a choisi de se rendre pour soutenir ce territoire clé dans l’industrie tech mondiale en raison de sa domination écrasante sur le marché des semi-conducteurs. Cette expertise lui confère un «bouclier de silicium» face à son voisin chinois, qui menace de l’envahir depuis des décennies.

Ainsi, les députés Guillaume Kasbarian de l’EPR (Ensemble pour la République), membre du groupe d’amitié France-Taïwan de l’Assemblée nationale, Estelle Youssouffa du groupe LIOT à Mayotte (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires), Corentin Le Fur de la DR (Droite républicaine) et Paul Midy de l’EPR passent actuellement la semaine à Taïwan. Ils sont accompagnés par la représente de Taïwan en France Hau Pei-chih.

Programme politique et technologique

Dans le cadre de ce déplacement au cœur de l’Asie qui s’achèvera le 24 mai prochain, la délégation doit rencontrer la vice-présidente de la République Hsiao Bi-khim, le président du Parlement Han Kuo-yu, la vice-ministre de l’Économie Cythina Kiang et le vice-ministre du Numérique Herming Chiueh. Calendrier de la tech oblige, les députés français se sont rendus dès mardi au Computex, où ils ont pris part à l’inauguration de l’InnoVEX, la partie du salon dédiée aux startups. Les parlementaires sont d'ailleurs allés à la rencontre des startups françaises sur le pavillon tricolore.

En marge du Computex, la French Tech Night de l’antenne taïwanaise a eu lieu cette semaine, comme chaque année. A cette occasion, Maddyness a pu échanger avec Paul Midy pour discuter de la relation entre la France et Taïwan, ainsi que la position stratégique de l’île dans la tech mondiale.

MADDYNESS – A Taipei, vous vous trouvez en plein cœur de la plaque tournante mondiale des semi-conducteurs. Vous êtes ici avec d'autres députés parlementaires. Quel est le but de la venue de cette délégation parlementaire à Taïwan à l'occasion du Computex ?

PAUL MIDY – C'est très important de venir à Taïwan, parce qu'il faut qu'on renforce les liens technologiques et scientifiques entre la France et Taïwan. On veut être parmi les pays leaders de l'intelligence artificielle et vous savez qu'on a un écosystème exceptionnel dans le secteur. Nous sommes très bons sur les softwares, mais faire de l'IA, cela nécessite aussi du hardware.

Nous avons notamment besoin de semi-conducteurs qui sont adaptés aux calculs d'IA. Et à Taïwan, ils sont les meilleurs du monde en la matière. Ils ont une position qui est dominante dans les semi-conducteurs, qui est de plus en plus dominante avec la progression de l'IA, et il faut donc que l'on soit en capacité de coupler nos forces que nous avons dans l'IA avec la partie software comme Mistral par exemple.

C'est pourquoi il faut que l'on travaille ensemble entre la France et Taïwan. C'est par exemple l'excellent partenariat qui vient d'être annoncé à Choose France avec Foxconn, qui est une des plus grosses compagnies taïwanaises dans les semi-conducteurs. Elle va investir avec Thales en France sur ces sujets de semi-conducteurs pour l'IA. C'est une excellente nouvelle, et il faut que l'on montre des signes à Taïwan que nous avons envie de travailler avec eux. On a besoin d'eux comme ils ont besoin de nous aussi pour se développer dans l'IA.

Et dans ce cadre, faire venir des parlementaires est une façon de montrer qu'on a envie d'aller encore plus loin. Et puis pour moi à titre personnel, c'est l'occasion évidemment d'être aux côtés des entrepreneurs français à Taïwan et donc avec la French Tech Taïwan qui est une French Tech très dynamique.

Dans l'actualité, il y a la menace d'une invasion chinoise de Taïwan qui revient régulièrement. Par rapport à cela, dans quel état d'esprit avez-vous abordé ce voyage avec les autres parlementaires ?

La France entretient des relations avec Taïwan, et c'est dans ce cadre que nous sommes ici. Notre venue intervient dans un contexte géopolitique qui est de toute façon très perturbé d'une façon générale, à la fois avec la position de la Chine dans le monde et les nouvelles positions des États-Unis. Dans ces changements géopolitiques, il faut que la France et l'Europe prennent toute leur part.

Pour retrouver sa souveraineté technologique, il faut que l'Europe soit capable de se défendre. Et se défendre, cela veut dire être les meilleurs au monde dans l'IA et il faut le faire avec les partenaires qu'on peut avoir. Taïwan est un partenaire de ce type avec lequel on partage beaucoup de valeurs et une très grosse complémentarité scientifique et technologique. C'est donc une alliance qu'il faut qu'on réussisse à renforcer encore plus dans la période géopolitique qu'on est en train de vivre.

«Ce n'est pas si loin et il y a des opportunités énormes»

S'il y a des entrepreneurs français qui hésitent à se lancer à Taïwan au vu du contexte géopolitique actuel, quel message souhaiteriez-vous leur faire passer justement ?

Il faut y aller ! Il y a des opportunités qui sont exceptionnelles. Nous avons beaucoup de liens avec la France et les pays européens, avec la France et les États-Unis. L'Atlantique est très petit quand il s'agit d'aller aux États-Unis. Là, vous pouvez voir il y a une distance qui est beaucoup plus forte avec l'Asie, et en particulier avec la Chine ou Taïwan. Et cela veut aussi dire qu'il y a beaucoup d'opportunités ! Si vous voulez, par exemple, aller développer des produits où il y a besoin de cette compétence hardware, c'est Taïwan l'endroit idéal où aller. Il y a une volonté qui est très forte, il y a encore peu d'acteurs qui y vont et donc nous avons vraiment une place très forte à prendre.

Franchement, allez-y ! Cela peut paraître loin si l'on compare pour aller de l'autre côté de l'Atlantique mais ce n'est pas si loin et il y a des opportunités énormes.

Mais pour qu'il y ait davantage de startups françaises qui aillent à Taïwan, il faudrait peut-être aussi plus d'acteurs français du hardware. Notre écosystème est surtout software, alors que Taïwan est véritablement la «Mecque de l'électronique». Mais sans hardware, il n'y a pas de software...

Exactement, et il faut donc que l'on arrive en France à développer toute la partie hardware. Nous avons des ambitions fortes sur les semi-conducteurs, sur les puces électroniques, en particulier pour l'IA qui est devenu un nouvel axe du plan France 2030, mais on est au début de l'histoire, soyons clairs, sur ce chemin-là.

Ce chemin, il faudra qu'on le trace avec des partenaires qui ont déjà la compétence et qui sont les meilleurs au monde. Et ce partenaire, c'est évidemment Taïwan, ce sont les meilleurs au monde ici. Ils ont envie de travailler avec nous et il faut qu'on travaille avec eux pour ne pas réinventer le fil à couper le beurre. Plus globalement, je suis convaincu que toutes les collaborations que l'on pourra avoir avec Taïwan seront très fructueuses pour la France et l'Europe.