Avocate en droit du numérique, Laura Dufresne n’avait pas prévu de lancer un véhicule d’investissement. C’est par le réseau qu’elle y est venue. En 2023, avec sa consœur Géraldine Compain, elle cofonde ShiftHer : un club de femmes aux profils très variés (entrepreneures, salariées, avocates, professionnelles de santé ou du bien-être) qui se réunissent autour d’ateliers mensuels, de rencontres et d’événements. Le tout dans un esprit de sororité et d’accueil, loin des codes du networking traditionnel.

C’est une table ronde consacrée à l’argent et aux femmes qui agit comme déclencheur. Les discussions font remonter de nombreux constats : déficit de culture économique, peur d’oser et gestion financière parfois confiée aux conjoints « J’ai été surprise par l’ampleur de l’intérêt suscité par ce sujet, et en miroir, par le manque d’émancipation qui persiste  », se souvient Laura Dufresne. D’autant que dans les rangs du club, certaines femmes sont déjà investisseuses ou impliquées dans des fonds. Quelques mois plus tard, ShiftHer Invest était né.

Un modèle coopératif, 100 % féminin

Lancé officiellement en mars 2025, ShiftHer Invest n’est pas un fonds au sens réglementaire, mais une SAS constituée comme un véhicule de business angels. Le board est composé de 20 femmes issues de parcours très divers, ayant toutes apporté un ticket identique. Les décisions d’investissement sont prises à la majorité des deux tiers, lors de comités mensuels prévus chaque premier lundi du mois. « Avec Géraldine Compain, nous voulions que ShiftHer soit une expérience égalitaire, autant sur le plan financier que dans le fonctionnement », explique Laura Dufresne.

Ce board est aujourd’hui fermé, mais un deuxième véhicule pourrait voir le jour une fois les premiers fonds déployés. L’originalité de ShiftHer Invest tient aussi à sa gouvernance : les associées sont impliquées dans l’analyse des dossiers et réparties en sous-groupes à chaque étude d’un nouveau projet, selon une méthodologie définie en amont. Juristes, RH, entrepreneures, investisseuses… « L’idée est d’avoir une vision à 360 degrés, utile à toutes les phases de vie des startups, qui permet par la suite de les accompagner en apportant un soutien stratégique et opérationnel régulier », commente Laura Dufresne.

Une thèse d’investissement souple mais exigeante

Contrairement à d’autres initiatives féministes du capital-investissement, ShiftHer Invest ne réserve pas ses tickets aux fondatrices. « Notre féminisme se traduit par des choix de gouvernance forts pour promouvoir une autre vision de l’investissement, dans un contexte où seules 20 % des femmes en France investissent », revendique Laura Dufresne. L’accent est ainsi mis sur la composition 100% féminine du board, pas sur les critères d’éligibilité des cibles. La seule exigence : que les startups soient dirigées par des femmes et des hommes ayant à cœur la parité et l’ambition d’avoir un impact sociétal positif au sein de leurs écosystèmes, que ce soit dans la santé, les nouvelles technologies, l’éducation ou encore l’environnement.

Le premier investissement, réalisé dès avril, illustre bien cette philosophie. ShiftHer Invest a participé à un tour de table de plusieurs millions d’euros dans Ziwig, startup de medtech qui a développé un test salivaire pour diagnostiquer l’endométriose en quelques jours. Un deal exceptionnel pour le fonds, qui compte tenu de la taille de ses tickets (de 5 000 à 50 000 euros), ne prévoit d’investir qu’en amorçage. « C’est la qualité du projet et la proximité d’une associée du board avec l’équipe fondatrice qui nous ont permis d’entrer dans le tour », commente Laura Dufresne.

D’autres projets sont à l’étude, notamment des projets dans l’univers de la seconde main ou une flotte de vélos pour les entreprises. « On reçoit beaucoup de decks, directement sur notre site ou via les membres du board », souligne-t-elle. Chaque projet est analysé collectivement, avec le vote du board à la clé.

Vers un écosystème ShiftHer

Pour Laura Dufresne, ShiftHer Invest est une des branches d’un écosystème plus large. « J’aime bien dire que ShiftHer est une pieuvre : chaque bras ambitionne de faire progresser la cause féminine », sourit-elle. Le ShiftHer Club poursuit son développement avec plus de 120 ShiftHeuses adhérentes et un rythme mensuel d’événements variés. Après la summer party annuelle en juin, juillet sera consacré à un atelier où l’art croisera blockchain et nouvelles technologies. En 2026, une nouvelle entité pourrait voir le jour.

« Notre ambition est de rendre visible et légitime la présence des femmes là où elles devraient déjà être et où elles sont encore sous-représentées  », conclut Laura Dufresne. Et, au passage, de créer une expérience humaine forte, où l’engagement, l’écoute et le professionnalisme dépassent les frontières de l’investissement.