Le luxe se doit avant tout de conserver son image de marque et de préserver l’expérience de ses clients. C’est pourquoi LVMH a choisi d’adopter le concept de “quiet tech” : intégrer la technologie oui, mais de manière suffisamment discrète pour ne jamais altérer l’élégance et l’exclusivité de ses maisons. Franck Le Moal, Chief Information Officer du groupe LVMH, défend cette position, notamment en ce qui concerne l’IA générative. Dans cette interview, il explique comment cette nouvelle technologie est utilisée pour servir l’efficacité du groupe. Il annonce également un recentrage du programme d’accompagnement déployé à Station F, La Maison des Startups.

Maddyness : Qu'est-ce que l'IA peut apporter au secteur du luxe ?

Franck Le Moal : Le secteur du luxe se caractérise par la recherche de l'excellence dans la relation client, mais le Graal reste la personnalisation. L'IA nous permet de mieux connaître nos clients et leur parcours d'achat. Environ 80 à 85 % de nos clients consultent nos produits en ligne avant de se rendre en magasin. Nous collectons une masse d'informations et utilisons des algorithmes pour identifier ce qui leur plaît, ce qui pourrait leur convenir le mieux possible et pour personnaliser ce parcours. 

Deuxième chose, la plupart de nos marques opèrent dans 120 ou 130 pays avec des attentes clients, business et culturelles qui sont différentes. Nos produits sont faits de matières extrêmement onéreuses, des diamants, des métaux précieux, des cuirs précieux, des toiles précieuses. Et donc, bien sizer le niveau de production dont on va avoir besoin est extrêmement important.

Enfin, nous voyons également des opportunités avec la GenAI dans le domaine du marketing, notamment pour la création d'argumentaires et de descriptions de produits.

Pensez-vous que l'IA soit capable de prédire ce que les consommateurs vont vouloir ?

Je pense qu’il sera difficile d’obtenir une prédiction à long terme extrêmement fiable. Les algorithmes et l’IA peuvent nous aider à mieux piloter, à mieux positionner nos produits et à évaluer leur potentiel de vente. Mais cette prédiction à long terme ne nous intéresse pas forcément.  Nous restons avant tout dans une industrie où l'acte de création et le travail du designer prime. Nous commençons tout juste à utiliser la GenAI pour générer des mood boards de formes et de couleurs. Néanmoins, nous ne savons pas ce qui sera retenu lors de la présentation des collections. L’IA est uniquement un support, une aide. 

Envisagez-vous, dans un futur plus ou moins proche, de sortir une collection complètement pensée par l'IA ?

Non, la réponse est claire. Notre actionnaire, M. Arnault, et nos patrons de marques souhaitent que leurs designers continuent à inventer, à créer, à être inspirés par leur sens artistique. On s’est approprié très vite l’IA mais on s'est aussi très vite mis des règles et des barrières avec une charte des do et don’t. Nous ne souhaitons pas que des produits soient générés par l'IA parce qu’on pense qu’on perdrait notre âme. Ce qui fait quand même la magie aujourd'hui d'un produit Vuitton, d'un produit Dior Couture, ou d'une bague Tiffany, c’est la créatrice ou le créateur, c’est Nicolas Ghesquière, les bureaux de style, les artisans, les petites mains qui vont travailler pendant des heures. La valeur de nos produits vient du fait qu'elle est inspirée, créée, pensée par des êtres humains. Et ça justifie aussi le prix qu'on demande à nos clients. Je pense qu'il y a une question d'éthique, voire même de continuité de notre business model. On pourrait éventuellement comprendre que dans la fast fashion, des gens s'approprient des LLM pour dupliquer de façon extrêmement rapide nos produits. Je pense que chez nous, il s’agit d’une question de survie.

La Maison des Startups à Station F existe depuis 8 ans. Est-ce que vous entendez faire évoluer vos programmes d'accompagnement ?

Effectivement, nous sommes en train de réajuster notre mode de fonctionnement. Nous n'avons plus vocation à sourcer des centaines ou des milliers de startups. Ce qui nous importe aujourd'hui, c’est de sourcer des startups en fonction de besoins réels et concrets au sein de nos maisons ou de nos métiers. Nous voulons être sûrs qu'on va avoir une collaboration réussie dès le départ. Auparavant, nous accompagnions 30 à 40 startups par an ; désormais, nous souhaitons nous concentrer sur un maximum de 15 à 20 startups. Notre principal KPI sera que chaque projet soit co-créé dès le départ avec une maison. Nous voulons également qu'une relation avec une startup génère au minimum 8 adoptions dans les maisons, le plus vite possible. Sinon, nous considérons que ce n’est pas intéressant pour nous, et surtout, pas pour les startups. 

Avez-vous identifié une problématique dans votre secteur dont une nouvelle startup pourrait s’emparer ? 

Nous commençons à nous intéresser à tout ce qui touche à la traçabilité et à l’authenticité des matières, de la source au produit final. C’est un sujet passionnant qui nous intéresse beaucoup. Nous explorons également les startups capables de combiner la 3D et la GenAI. Enfin, nous regardons de près les secteurs de l'Agritech et de la Beautytech. Nous réfléchissons à la manière de générer de la valeur dans ces domaines liés à l’environnement et aux sciences.